Les démarches RSE sont devenues une véritable priorité dans les entreprises, à la fois pour les annonceurs et les collaborateurs. Les collaborateurs et les jeunes diplômés sont même nombreux à choisir leur futur employeur en fonction de l’impact de sa démarche RSE. En particulier, la tendance est aux interrogations concernant le traitement des données dans ces démarches. La question de la précision et de la qualité des datas utilisées dans les rapports transmis aux actionnaires, aux régulateurs ou aux autres partenaires financiers est devenue le nerf de la guerre pour déployer une stratégie RSE fructueuse.
L’EBG a réuni, le temps d’un webinar exceptionnel, Nicolas Andre, COO & co-fondateur de Jenji, et Alexandre Torbay, CFA et co-fondateur de Keewe, pour comprendre comment collecter et filtrer des données pertinentes pour aller vers un rapport RSE actionnable.
Pourquoi améliorer sa démarche RSE ?
Pour rappel, la Commission Européenne définit la RSE comme étant “l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes”. Les raisons qu’ont les entreprises d’améliorer leur démarche RSE sont nombreuses :
- L’incitation, voire l’obligation réglementaire : Les lois en France et Europe s’accumulent et exigent de plus en plus d’engagements de la part des entreprises et des collectivités. Ces incitations réglementaires touchent aux trois aspects de la RSE : l’environnement, le social, et la gouvernance. Pour la partie sociale par exemple, la loi Sapin 2 instaure un devoir de vigilance. Les entreprises doivent s’assurer que leurs fournisseurs et leurs sous-traitants respectent les droits du travail. Concernant la partie environnementale, et en particulier le climat, les sociétés privées françaises de plus de 500 salariés se voient par exemple dans l’obligation de réaliser un Bilan de leurs Émissions de Gaz à Effet de Serre (BGES). Il faut savoir que les émissions de gaz à effet de serre sont réparties en trois scopes : les émissions dites directes (par exemple, pour un constructeur automobile ce sont les émissions liées à sa production), les émissions indirectes liées à la consommation d’électricité, puis en scope 3 toutes les autres émissions indirectes, liées à l’activité en amont (production des matières premières ou encore transport vers les usines) et en aval (distribution des produits et utilisation de ces produits par les clients). La loi oblige les entreprises à agir sur les scopes 1 et 2.
- Les comportements des clients : Ces derniers sont également des moteurs du changement au sein des entreprises. Ils sont de plus en plus demandeurs de responsabilités et d’engagements de la part de leurs marques préférées. Ces comportements des clients façonnent les offres de services et de produits proposées par les entreprises. Pour survivre, les entreprises doivent s’adapter et répondre rapidement aux demandes de leurs clients.
- La motivation RH : Les collaborateurs en interne sont eux aussi davantage exigeants en matière de responsabilités de leur entreprise. A offre égale, il est possible que les jeunes diplômés se dirigent vers des entreprises qui s’engagent dans des actions pour la préservation de l’environnement. Pour continuer de recruter et de se développer, adopter une démarche RSE solide devient progressivement une nécessité pour les entreprises.
- Les économies : S’engager dans la RSE peut permettre aux entreprises de faire des économies. Tout d’abord, cela peut éviter de payer une amende pour non-respect des réglementations en vigueur. Plus que cela, en revoyant certains process dans le cadre d’une démarche RSE, les entreprises peuvent être amenées à innover, à s’améliorer, et à concilier respect des politiques RSE et gain de productivité.
La nécessité de concilier les fonctions finance et RSE
Dorénavant, l’impact environnemental n’est plus cantonné à la responsabilité de la direction RSE de l’entreprise. En effet, toutes les directions de l’entreprise sont mobilisées et concernées par cette démarche. La fonction finance n’ y fait pas exception, bien au contraire. Si nous avons la fâcheuse tendance à penser que ces deux directions ont des intérêts contradictoires, avec une fonction finance qui lutte pour réduire les coûts et une fonction RSE perçue comme un coût additionnel, la démarche RSE peut plutôt être perçue comme quelque chose qui nourrit les finances.

Investir dans un process plus respectueux de l’environnement ou mettre en œuvre une politique sociale sont des démarches RSE qui n’alourdissent pas nécessairement les charges financières de l’entreprise. Et pour cause, comme nous l’avons vu précédemment, le non-respect des réglementations imposées entraîne une pénalité. Jusqu’en 2019, le non-respect de l’obligation de réaliser un BGES coûtait 1500 euros aux entreprises. La loi énergie climat élève désormais cette sanction à 10 000 euros, puis 20 000 en cas de récidive. Si ces montants peuvent sembler anecdotiques pour des entreprises aux chiffres d’affaires dépassant les milliards d’euros, on peut penser que l’acte de payer reste dissuasif.
Au-delà de cet aspect très pécuniaire, adopter une démarche RSE permet à la fonction finance de réduire les coûts et les risques dans le secteur opérationnel. Par exemple, une entreprise qui décide de faire un audit énergétique de ses bâtiments peut constater une fuite ou une dépense d’électricité trop élevée. Également, les réglementations sur l’aspect social, telles que les bonnes pratiques en matière de dialogue social, l’égalité salariale, ou encore l’absence de discrimination se révèlent être bénéfiques pour les entreprises. Des études montrent qu’avoir une diversité de profils au sein de son entreprise booste la performance. Le même phénomène est visible sur la gouvernance. Un board diversifié de par les cursus et l’expérience des administrateurs renforce la bonne gouvernance et la prise de décision dans l’entreprise.
La finance a tout intérêt à suivre l’impulsion d’une démarche RSE. La politique de placement financier peut être perçu sous le prisme de la politique RSE, avec un placement de sa trésorerie sur des principes ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Par exemple, cela passe, lors d’un placement, par l’exclusion de secteurs d’activité très polluants, comme le charbon ou d’industries considérées comme à controverse, telles que l’industrie de l’armement. La question de l’investissement responsable se pose. Des labels permettent d’orienter les placements d’une entreprise vers des entreprises plus respectueuses de l’environnement ou du social. D’ailleurs, Alexandre Torbay le rappelle : “on a vu avec la crise sanitaire, liée au Covid, que les sociétés qui avaient un meilleur score ESG avaient mieux résister à l’effondrement général qu’il y a eu au début de l’épidémie”.
Il peut y avoir des primes et des incitations financières à la performance RSE. Un investissement destiné à lutter contre le changement climatique par exemple peut être financé par un prêt vert ou des obligations vertes. Egalement, il existe aujourd’hui des sustainability-linked loan, des prêts indexés sur la performance de durabilité de l’entreprise. Une entreprise qui atteint ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre verra ainsi son taux de prêt bonifié. La finance et la RSE peuvent donc être étroitement liées.

“Le DAF est donc au cœur de l’écosystème et a accès à une information privilégiée par la vision de la comptabilité et de toutes les données financières. Sa vision globale lui permet de faire émerger des datas financières, mais aussi extra-financières.”
Alexandre Torbay, CFA et co-fondateur de Keewe
La data extra-financière : enjeu de la démarche RSE
La fonction finance est impliquée dans les démarches RSE et se retrouve alors avec des challenges à relever, notamment concernant la data. Si la donnée financière est essentielle au pilotage d’une entreprise, elle l’est également pour le pilotage de la démarche RSE. Pour Nicolas Andre, “la fonction finance doit trouver de nouveaux outils pour collecter cette donnée car les outils traditionnels, dont elle dispose, ne sont pas ouverts à ce nouveau type de données”. Il existe aujourd’hui un fossé entre les données financières et les données actionnables dans une démarche RSE.
Les datas actuelles, liées à la finance, ne sont pas assez complexes pour mener une démarche RSE. Alexandre Torbay souligne “la complexité à aller récupérer de la donnée complémentaire”, qui prend du temps et coûte donc de l’argent aux entreprises. Pour répondre à cette difficulté, deux leviers doivent être employés. Il y a tout d’abord une dimension formation. Les collaborateurs de la fonction finance doivent être formés à la vision data, mais également aux enjeux RSE. Plus que cela, la démarche RSE doit infuser l’ensemble des équipes de l’entreprise. Ensuite, il est nécessaire de fournir aux équipes les outils adaptés, qui vont leur permettre de collecter, analyser, et centraliser la donnée. Ces outils doivent rendre la donnée disponible et intelligible pour qu’elle soit valorisée.
Une fois collectée, il faut valoriser la donnée. Pour cela, il est important de détecter les indicateurs qui permettent un suivi de la démarche RSE. Il existe des indicateurs liés aux déplacements professionnels. Ces derniers se rapprochent du scope 3 des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le constructeur automobile, qui fait venir de la matière première de loin, peut relever l’émission de gaz à effet de serre nécessaire au déplacement. Son empreinte carbone, liée à sa production dans un autre pays, est une donnée exploitable considérée comme un indicateur. La question de l’empreinte carbone liée à l’utilisation par le consommateur du produit est un autre indicateur pour l’entreprise. Aussi, tout ce qui est consommable par les entreprises, comme le papier, est également un indicateur de la démarche RSE.
“On peut faire le parallèle entre RSE et finance. Dans la finance, on va piloter des budgets en euros. Pour le pilier carbone de la RSE, on va piloter le budget carbone. La tonne de CO2 équivalente est à la comptabilité carbone ce que l’euro est à la comptabilité financière.”
Alexandre Torbay, CFA et co-fondateur de Keewe
Une démarche RSE en 3 étapes
Alexandre Torbay explique que si les consommateurs et collaborateurs sont de plus en plus conscients des enjeux RSE, un défaut de connaissance et de maîtrise de ses enjeux est toujours constaté. La première étape d’une démarche RSE est donc la sensibilisation. “On va mettre les collaborateurs et dirigeants sur un même niveau de connaissance et de maîtrise du sujet. L’idéal c’est d’impliquer personnellement les collaborateurs.”
“Une fois sensibilisé, il faut maîtriser le sujet et le comprendre pour pouvoir s’engager et prendre des décisions.” La seconde étape consiste à former à la maîtrise des concepts RSE. “Comment les intègre-t-on dans la pratique managériale au quotidien ? Il faut trouver des critères d’évaluation de la performance des salariés ou des objectifs d’équipe qui ne soient plus uniquement liés aux chiffres d’affaires et aux ventes, mais aussi à des indicateurs RSE.”
Si ces étapes de sensibilisation et de formation en amont sont indispensables, un accompagnement dans le temps est aussi nécessaire. Cet accompagnement passe par une solide communication sur la politique, la vision décidée par la direction afin que tous les collaborateurs se sentent impliqués et engagés. Des méthodologies peuvent être déployées en interne, sur le long terme, pour construire la stratégie RSE, fixer des objectifs avec des échéances, et décliner cette politique de façon opérationnelle au quotidien. “Pour cela, la data est toujours au cœur de la problématique. On a besoin de recueillir des données pour avoir de la vision en temps réel et pour piloter afin d’atteindre les objectifs à cinq ou dix ans. La data, les KPIs, et le pilotage sont des éléments indispensables.”
Exemples de bonnes pratiques pour une transition réussie
Les efforts écologiques peuvent intervenir dans différents aspects de l’entreprise. Nicolas Andre nous donne l’exemple des notes de frais, qui se font toujours en support papier et nécessitent tout un process de contrôle, d’acheminement et de stockage. Aujourd’hui, les entreprises peuvent faire appel à des solutions de numérisation de ces notes de frais pour se débarrasser complètement du papier.
De la même manière, avec la solution expenses hub proposée par Jenji, il est possible pour les entreprises d’avoir accès à des données directement actionnables pour les décideurs, qui vont pouvoir analyser à la fois leur impact financier, et à la fois leur impact carbone. Ils vont par exemple constater que certaines formations sont consommatrices de carbone. Beaucoup de collaborateurs mobilisés vivent loin du centre de formation et leur déplacement implique un budget carbone conséquent. Ce constat peut pousser l’entreprise à faire un autre choix de formation (en visioconférence par exemple).
Une transition réussie passe également par un changement de comportements. La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a pour objectif d’étendre l’usage de moyens de déplacement durables (les transports en commun ou encore le vélo) sur le trajet domicile-travail des collaborateurs. Nicolas Andre constate auprès de ces clients que certains cherchent à étendre cette initiative à l’ensemble des déplacements professionnels. Par exemple, des équipes commerciales qui doivent se déplacer pour de la prospection seront incitées à se déplacer l’après-midi pour favoriser le covoiturage avec les collègues en partant du lieu de travail, là où un rendez-vous le matin impliquerait des moyens de déplacement différents pour chaque membre de l’équipe. Ce qui peut sembler anecdotique est en fait un effort comportemental qui joue un rôle dans la démarche RSE de l’entreprise.
Pour une transition réussie, il est également important de “donner du feedback aux décideurs et aux collaborateurs”. Les décideurs, comme les collaborateurs doivent pouvoir suivre leurs remboursements, mais également leur budget carbone. Comme le souligne Nicolas Andre, “on peut imaginer une gamification autour de ces données”. Par exemple, un classement mensuel récompensant le collaborateur au budget carbone le plus faible. “Ce petit jeu permettrait une prise de conscience bien ancrée dans l’entreprise.”

“Pour aider à la prise de décision des entreprises, les outils traditionnels d’aide aux grands comptes vont devoir s’ouvrir pour intégrer un suivi, une traçabilité des processus sous un angle RSE. Tout le secteur logiciel doit évoluer.”
Nicolas Andre, COO & co-fondateur de Jenji
L’accord de Paris de 2015 est la matrice qui guide aujourd’hui la production législative. L’objectif est de limiter le réchauffement climatique par rapport à la fin du 18ème à 1,5 degrés. Pour cela, la France s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de GES par rapport à 1990. Récemment, l’UE s’est montrée plus ambitieuse avec un objectif de -55%, en 2030. Pour atteindre la neutralité carbone, chaque individu doit passer d’une émission de 11,2 tCO2e en 2018, à 2 tCO2e en 2050. Les entreprises sont des cellules qui peuvent et doivent agir dans ce sens.