D’après une étude quantitative, menée par l’EBG en fin d’année 2020, concernant le taux d’équipement des entreprises en technologies et méthodologies pour exploiter la data :

  • 29% des professionnels interrogés affirment appartenir à une entreprise équipée en DMP;
  • 38 % pratiquent la méthode de segmentation RFM ou comportementale;
  • 41 % utilisent un datalake ou un RCU.

Si ces chiffres témoignent d’un intérêt certain pour l’exploitation de la data, toutes les entreprises ne peuvent cependant pas investir des sommes massives dans des campagnes 360° cross device. Pour maximiser l’impact de leurs campagnes marketing, elles ont alors dû trouver de nouvelles manières d’appréhender les données. On assiste ainsi à une nouvelle tendance : la data collaboration

Afin de mieux comprendre ce phénomène, l’EBG a réuni, dans le cadre d’un webinar, trois professionnels spécialistes de la data : Eric Gueilhers, co-fondateur de Shopper Factory, Fabien Scolan, le Vice-Président Advertising de Le Bon coin, et Nicolas Guarino, directeur commercial de Liveramp.

La vision de la data collaboration

“Il y a une prise de conscience forte des annonceurs et des éditeurs sur le respect et la protection de la donnée personnelle, qui change les règles du jeu et force l’écosystème à trouver d’autres solutions.”

Nicolas Guarino, directeur commercial de Liveramp

La collaboration autour de la data est un phénomène historique, une pratique courante depuis des années. Récemment, différentes réglementations interviennent dans ce contexte de collaboration et d’exploitation de la data. Également, “il y a une prise de conscience forte des annonceurs et des éditeurs sur le respect et la protection de la donnée personnelle, qui change les règles du jeu et force l’écosystème à trouver d’autres solutions”.

Le web est, depuis toujours, construit sur la gratuité, avec des revenus tirés de certaines formules d’abonnement, mais majoritairement de la publicité et/ou d’exploitation de la data. Ainsi, le business model des éditeurs repose sur ce format. C’est également le cas pour les enseignes. Elles peuvent ainsi générer des contenus complémentaires, en exploitant de la publicité ou la donnée de leurs clients. Depuis deux ans, cet environnement est davantage cadré avec le RGPD. La collaboration autour de la data est alors encadrée par des réglementations. D’après Nicolas Guarino, l’évolution des technologies et la notion de tiers de confiance permettraient de continuer cette collaboration, en respectant tous les pré-requis imposés par les réglementations.

Data Collaboration Webinar EBG

En ce qui concerne Shopper Factory, Eric Gueilhers explique que l’entreprise s’est munie de plusieurs technologies référentes sur le marché, afin de proposer à leurs clients des campagnes qualitatives avec les meilleures performances possibles : Liveramp pour la digitalisation, the Trade Desk pour la DSP, ou encore DV360 pour la visibilité. Pour permettre ce travail autour de la donnée de leurs clients, l’entreprise perçoit la notion de tiers de confiance comme essentielle à son fonctionnement. Grâce à cela, les données, qui bénéficient du consentement des utilisateurs, sont digitalisées par Liveramp et envoyées à la DSP, sans que Shopper Factory ne les voit. Il y a donc une vision de la data collaboration basée sur la complémentarité des données qu’apportent un retailer. La donnée transactionnelle est transmise au média d’un annonceur, qui ne possède pas cette donnée, afin qu’il puisse personnaliser ses campagnes

“Plus les leviers publicitaires sont bien ciblés, plus la publicité sera opportune et arrivera à point nommé en réponse aux besoins spécifiques des consommateurs.”

Fabien Scolan, Vice Président Advertising Le Bon Coin

Pour Fabien Scolan, il faut en premier lieu aborder une vision macro, en commençant par le haut du funnel, avec notamment la mise en place d’un observatoire de l’économie française à travers le prisme du Bon Coin. Ensuite, Le Bon Coin fournit une plateforme d’insight à ses clients et entreprises, pour leur donner des informations sur les données comportementales contextuelles, et les données de transaction. L’objectif est de permettre aux annonceurs d’affiner et d’adresser une meilleure publicité en termes de timing et de ciblage. 

“Plus on va descendre dans le funnel, plus on développe du machine learning pour traiter l’optimisation de la performance en temps réel.” Ce machine learning permet d’injecter des segments et d’améliorer, au fur et à mesure de la campagne, la performance. Également, Le Bon Coin adopte la technique du CRM onboarding afin de faire matcher l’audience de leur client avec leur propre audience. C’est sur ce point que la notion de tiers confiance joue un rôle majeur. “C’est le gage de sécurité pour nous et nos clients”, explique Fabien Scolan.

Des exemples concrets de data collaboration 

Eric Gueilhers nous décrit un format de data collaboration assez innovant. Il s’agit de croiser les bases de données de deux acteurs afin d’évaluer le nombre de communs entre les deux bases. Les deux acteurs peuvent ainsi savoir si, sur ce commun, il y a des campagnes ou des activations spécifiques à faire. Cette fonctionnalité est intéressante, par exemple, si deux éditeurs d’applications mobiles souhaitent travailler sur la complémentarité de leur base utilisateur. Dans le cas où le taux de commun est faible, ils peuvent proposer leurs services, mettre en place des activations sur les utilisateurs qu’ils n’ont pas en commun. On assiste là à “une data collaboration qui change de la campagne d’activation plus classique”. Cette collaboration peut très bien fonctionner, par exemple, pour un hôtelier et un service de location de voiture. 

Fabien Scolan décrit, quant à lui, une data collaboration entre Le Bon Coin et la marque de prêt-à-porter Jules. Si l’objectif de la campagne était le développement de la notoriété de la marque et la fidélisation, le matching des bases de données et la génération des insights ont révélé l’appétence des consommateurs de la marque Jules pour l’auto, le sport, ou encore le bricolage. “Grâce aux données, concernant leurs comportements dans certaines catégories du Bon Coin, le type de produit acheté, ou encore le niveau de panier, la marque Jules a pu travailler son ROI et a généré beaucoup plus d’insights en terme de connaissance de ses propres clients.” La marque Jules peut ainsi travailler sur les prospects et développer son parcours client.

L’entreprise a divisé par deux son coût d’acquisition. Auprès de la régie Le Bon Coin, un annonceur a donc accès à une plateforme d’insights et un machine learning, qui lui permet d’avoir une vision sur ses propres clients. Le rapprochement de deux bases de données permet aux annonceurs de connaître les comportements de leurs clients et de savoir quel canal activer ou non.

La place de l’internaute dans cet écosystème réglementé

Avec la mise en place de CMP au sein de leurs applications mobiles, Médiaperformances (groupe d’appartenance de Shopper Factory) manifeste une volonté de permettre à l’utilisateur de donner son avis concernant la publicité, ou encore l’exploitation de ses données. Ainsi, pour Eric Gueilhers, “le RGPD, l’e-privacy, et les directives de la CNIL structurent le marché, là où il y avait auparavant des règles floues, et permettent de donner des leviers réels, de plus en plus simples et accessibles, pour que les internautes comprennent que leurs données peuvent être exploitées pour personnaliser la publicité.” Finalement, les réglementations permettent de placer l’internaute au centre du jeu, au centre de la publicité digitale. Eric Gueilhers rappelle que “ce n’était pas le cas il y a encore 5 ans”. 

Eric Gueilhers EBG Shopper Factory

“On est pour la régulation, qui vient des Etats et de l’Europe, mais la régulation par des sociétés privées gigantesques n’est pas cohérente avec celles des Etats, et est très compliquée à comprendre pour les utilisateurs.” 

Eric Gueilhers, co-fondateur de Shopper Factory

Le problème rencontré aujourd’hui est lié aux acteurs, qui viennent se placer en supra-régulateur, en appliquant leurs propres CMP propriétaires par exemple. Le co-fondateur de Shopper Factory donne l’exemple de Apple, qui crée “des surcouches de privacy. Cette supra-régulation poserait “un problème de clarté pour les utilisateurs (avec des CMP en cascade), qui pourrait alors entraîner des refus de manière massive”. 

“Notre philosophie ce n’est pas : “si tu ne paies pas le produit, c’est que tu es le produit.””

Fabien Scolan, VP advertising Le Bon Coin

Fabien Scolan rejoint l’avis de Eric Gueilhers concernant la place de l’internaute, qui doit être de plus en plus sécurisé grâce aux évolutions du cadre légal et structurel. “Notre philosophie ce n’est pas : “si tu ne paies pas le produit, c’est que tu es le produit.”” La publicité est considérée comme un produit comme les autres dans le market place. Pour Fabien Scolan, c’est la raison pour laquelle elle doit être bien ciblée. La pertinence des messages et le consentement des utilisateurs sont au centre des préoccupations, selon lui. Néanmoins, comme Eric Gueilhers, il dénonce les grandes sociétés, qui ne sont pas toujours en accord avec la CNIL, là où des acteurs locaux ont une CMP à jour. L’enjeu consiste donc à “expliquer aux internautes pourquoi cette publicité est utile et comment elle vous sera utile”. 

Les prochains chantiers à mener

“ Il faut jouer avec le même playbook et, pour l’instant, ce n’est pas le cas.”

Fabien Scolan, VP advertising Le Bon Coin

Pour Fabien Scolan, l’enjeu pour l’avenir c’est : “comment driver de la performance avec de la publicité saine ?” Pour lui, il est essentiel de prendre en compte l’ensemble du funnel. “Quand il va falloir mesurer, monitorer le bas du funnel, il va falloir utiliser d’autres leviers que les cookies tiers. On aura besoin d’une vision cross device. C’est là qu’est le vrai chantier : comment on va réussir à apporter cette vision et ce monitoring du ROI aux entreprises ?” Fabien Scolan craint de ne pas pouvoir le faire pour les acteurs locaux, à cause des engagements vis-à-vis de la CNIL, du RGPD et de l’e-privacy, et de devoir faire face aux walled garden, sur lesquels il n’a pas de visibilité.

“J’ai en face de moi des acteurs qui, si j’additionne juste Google et Facebook, représentent  30 milliards de R&D par an. Même s’ils en adressent seulement un milliard pour la publicité, ce sera toujours plus que l’ensemble du marché français.” Pour le Vice-Président Advertising de Le Bon coin, il ne s’agit pas de se plaindre, mais plutôt d’être aussi performant. Cependant, pour cela, “il faut jouer avec le même playbook et, pour l’instant, ce n’est pas le cas”. Des acteurs qui ne respectent pas la CNIL vont driver, monitorer la performance. Le risque c’est que les investissements se transfèrent vers ces acteurs. Il est donc nécessaire de trouver une solution universelle, comme ce qu’était le cookie. 

“LES GAFA ONT EU LEUR PROPRE INTERPRÉTATION DU RGPD ET L’ONT TOURNÉ À LEUR AVANTAGE POUR COMPLEXIFIER LES CAMPAGNES D’AUTRES TYPES D’ACTEURS. CELA PEUT POUSSER DES ANNONCEURS OU DES MARQUES À CONTINUER D’INVESTIR VERS LES LEVIERS LES PLUS SIMPLES, ET DONC DANS LES WALLED GARDEN.”

Eric Gueilhers, co-fondateur de Shopper Factory

Eric Gueilhers partage les inquiétudes de Fabien Scolan. Pour lui, il y a un flou qui règne au niveau des initiatives de Google ou Apple. Google ne respecte pas la privacy européenne et californienne. Cela pose un véritable problème de visibilité. “Le RGPD a bénéficié aux GAFA, plutôt qu’aux éditeurs locaux.” “Les GAFA ont eu leur propre interprétation du RGPD et l’ont tourné à leurs avantages pour complexifier les campagnes d’autres types d’acteurs. Ce qui peut pousser des annonceurs ou des marques à continuer d’investir vers les leviers les plus simples et donc dans les walled garden.” Le chantier à venir est donc, selon Eric Gueilhers, de travailler ensemble sur le biai généré par le RGPD.